Histoire de lire...

J'héberge dans ma grande maison une famille de rongeurs dont l'originalité est de savoir lire. L'une de ces souris savantes me sert parfois de critique éclairé quand j'hésite sur mes choix du moment. Dernièrement elle m'a conseillé un bouquin de poche, mon format préféré, à lire sans plus attendre:" Réparer les vivants" de Maylis de Kerdangal... Pour ma part c'est le genre de roman qui me déroute autant qu'il me passionne. Raconter une transplantation d'organes en deux cent pages et des poussières en décortiquant au scalpel la psychologie des personnages concernés, à savoir les parents du donneur, surfeur de dix neuf ans en mort cérébrale et l'équipe médicale qui les entoure, relève du défi. L'auteur nous immerge dans une eau trouble où conscient, inconscient et vécu noient le lecteur et l'oblige sans cesse à reprendre sa respiration avant de poursuivre. Ponctuation inhabituelle, mots ciselés dans un métal dur, descriptions millimétrées et dialogues hors concessions font de ce face à face douloureux avec la mort un bal macabre dénué de tout travestissement superflu. On doit se contenter d'écouter le silence à travers une musique concrète qui assourdit souvent mais dilue les réticences premières. Si je n'avais pas lu quelques notes biographiques sur l'auteur que je ne connaissais pas jusque là, j'aurais été tentée de penser qu'il s'agissait d'un médecin légiste délaissant les corps défunts pour autopsier les âmes...